
Il est certainement l’un des écrivains algériens en langue française les plus prolixes et dont l’itinéraire est à la fois atypique et riche en rebondissements. Yasmina Khadra, c’est de lui qu’il s’agit. Auteur de plus d’une trentaine d’ouvrages, traduits et publiés dans pas moins d’une cinquantaine de pays, récipiendaire d’importantes récompenses internationales et dont les ouvrages sont de plus en plus lus. Son style brutal et poétique interpelle aussi bien le large public, les critiques, mais aussi les cinéastes, les bédéistes et dramaturges qui ne rechignent pas à adapter leurs œuvres aux quatre coins du monde. Engagé, mais également et surtout, un écrivain que tous les bouleversements que traverse le monde ne laissent pas insensible. Yasmina Khadra, sous ce pseudonyme féminin se cache un homme. De son vrai nom Mohamed Moulessehoul, il a choisi un pseudonyme composé des deux prénoms de sa femme Yamina Khadra Amel Moulessehou par nécessité, en tant que militaire, contraint à écrire en cachette.
«Le monde a été conçu pour être imparfait, notre vocation est de négocier ces imperfections», se plaisait-il à répéter.
Pourtant, rien ne le prédestinait à devenir un grand écrivain, si ce n’est sa passion irrépressible pour l’écritoire depuis sa tendre jeunesse. Son tout premier recueil de nouvelles «Amen» l’a écrit alors qu’il n’a que 18 ans. Ce natif de Kenadsa, dans le saharien algérien, voit le jour le 10 janvier 1955.
Yasmina Khadra, ancien militaire
Fils d’un infirmier devenu militaire de l’Armée de Libération Nationale a fait ses débuts à l’école des cadets de la révolution d’El Mechouar pour suivre une formation militaire dès ses 9 ans.
Devenu sous-lieutenant à 23 ans, il entame une longue carrière dans l’armée algérienne. Pour lui, servir son pays ne l’empêche pas de s’adonner à sa passion.
De 1984 à 1989, il publie trois recueils de nouvelles et trois romans sous son vrai nom. C’est dans les années 1990 que, pour des raisons de censure militaire, il adopte le nom de plume Yasmina Khadra.
Cet officier supérieur de l’Etat-major algérien a fait un premier virage en 1999, en mettant fin à sa carrière militaire pour se consacrer entièrement à sa vraie vocation : la littérature. Il s’installe provisoirement au Mexique, et savoura sa «désertion» : «J’étais né pour écrire !», se complait-il à rappeler.
Après la virée mexicaine, il s’installe en France en 2001 avec sa femme et ses enfants et révéla son identité en publiant le roman autobiographique «l’écrivain», où il annonce la couleur: «je n’ai pas besoin de chars ni d’avions, ni de bataillons chevronnés, monsieur le directeur. Donnez-moi une machine à écrire, une rame de papier et je conquerai le monde».
Sa passion pour l’écriture est charnelle. «C’est cela, écrire, pour moi, me sentir humain, citoyen, profondément concerné par ce qui m’entoure, par ce qui m’échappe et par ce qui m’interpelle».
Ecrire mais en langue de Molière que beaucoup d’auteurs algériens d’expression arabe lui reprochent.
Ce choix, il l’assume. Son choix de la langue française comme langue d’écriture, bien qu’elle ne soit pas sa langue maternelle, ne renvoie pas à un motif idéologique, loin s’en faut.
C’est la lecture de Camus qui l’a incité à s’engager dans la langue française : «Adolescent, je voulais devenir poète, le meilleur véhicule était l’arabe. Le français passait au second plan, puis j’ai découvert -L’Etranger- de Camus. J’avais quatorze ans, et je me suis intéressé au français, et du même coup au roman. Avec le français, je suis en transe, dans la fête, j’ai beaucoup plus de liberté.»
Cet écrivain a été de tous les combats et certains de ses livres, de véritables best-sellers (l’Attentat, les Hirondelles de Kaboul, les Sirènes de Baghdad, Dieu n’habite pas à La Havane...), ont rencontré le succès que l’on connaît à la faveur des thèmes qu’il a développés, des réflexions et des analyses qu’il a réussies à présenter à des lecteurs qui viennent de tous bords.
Ce qui se passe en Algérie l’intéresse au premier chef. Il a été dans les premières lignes au cours des années sombres de lutte contre les groupes islamistes en Algérie. Avant de se réfugier en France, il a été Commandant dans les forces spéciales engagées dans la lutte antiterroriste durant les années 1990, il fait trois dépressions nerveuses, échappe à deux embuscades et fait trois atterrissages forcés en hélico dans des maquis infestés de terroristes du GIA.
Il a été candidat à l’élection présidentielle de 2014, remportée par Abdelaziz Bouteflika, mais recalé faute d’avoir obtenu suffisamment de parrainages.
Dans cette expérience, son engagement répond à une conviction: Aider le pays à «changer» et à «trouver un nouveau souffle» est une mission plus grande que la littérature».
Il pensait à cette époque que «Les Algériens aspirent à vivre dignement et librement dans leur pays, avec un projet de société enthousiasmant». Il est aujourd’hui le romancier algérien le plus lu au monde, et l’un des auteurs francophones les plus traduits sur la planète. Yasmina Khadra est entré dans le Petit Robert en 2014. Il assure qu’il est «responsable de chaque mot dans mes livres. Je peux me tromper, mais je ne triche pas. J’explique ce que je crois avoir compris, raconte ce que je crois savoir.»
Il incarne le plaisir de la liberté, ayant toujours pris pour exemple l’Algérie, où l’on ne pouvait «ni écrire, ni chanter, ni créer». Il est notamment l’auteur d’une trilogie saluée dans le monde entier, «Les Hirondelles de Kaboul», «L’Attentat» et «Les Sirènes de Bagdad», consacrée au dialogue de sourds entre l’Orient et l’Occident. Auteur prolixe, il a eu droit à la gloire et à la reconnaissance. Il est récompensé dès 1993 par le Fonds international pour la promotion de la culture de l’UNESCO. Il a eu droit depuis 2000 notamment à une pluie de récompenses. Il reçoit le prix de l’Académie française pour «l’écrivain» en 2005, alors que «les Hirondelles de Kaboul est élu meilleur livre de l’année aux Etats Unis et «La Part du mort» obtient le prix du polar francophone. «L’Attentat» devient prix des libraires et le meilleur livre de l’année en Allemagne en 2008. «Ce que le jour doit à la nuit» (vendu à plus de 800 mille exemplaires) a été élu meilleur livre de l’année en France et remporte le prix Roman France Télévision.
Yasmina Khadra qui continue inlassablement à écrire, entre autres «Le Sel de tous les oublis», «Pour l’amour d’Elena» et «le privilège du Phénix» et à voyager également, est un témoin de son temps.
Pour lui, «le monde n’a jamais changé, il obéit à sa propre logique. Il est par essence imparfait», «la haine de l’autre» est le facteur qui est le plus à même de mener le monde à sa perte et «la stigmatisation des minorités» est le problème social le plus préoccupant.