
Vous êtes l’artiste mauritanienne la plus connue à travers le monde. Vous avez des collaborations avec des musiciens de blues, jazz et même de rock parfois. Comment vous justifiez ce mariage?
Maalouma mint el meidah: Il est vrai que j’utilisais parfois des rythmes rock-funk. Mais il faut dire en toute honnêteté que c’est le milieu artistique et musical dans lequel j’ai baigné durant toute mon enfance qui a façonné mon imaginaire et ma perception de la musique azâwân de Mauritanie. Et ce, particulièrement quand cette musique est produite dans un esprit créatif, des mélodies et des arrangements qui s’adaptent à l’air du temps et qui sont en harmonie avec nos modes, gammes et rythmes africains.
En respectant ces principes, le résultat serait inévitablement au rendez-vous. Ainsi, pour ma musique, j’ai veillé à composer des airs et des titres sans imiter qui que ce soit et sans user d’artifices.
Parlez-nous de votre instrument typique mauritanien favori. Pourquoi il a une place particulière dans votre art?
«L’ârdîn» et la «tidinît» sont des instruments mauritaniens qui m’accompagnent depuis que j’ai ouvert les yeux sur ce monde et jusqu’à aujourd’hui. Ils sont liés à la mémoire de mes parents que Dieu les ait en Sa Sainte miséricorde.
Vous chantez en arabe, et pourtant, votre musique évite de s’imprégner de l’orient. Pourquoi?
Je suis une grande fan d’Abdel Halim Hafez et de la musique orientale, le «tarab». Mais j’insiste sur le fait que nous avons une musique complètement différente du style oriental, une éducation vocale très particulière, et même nos instruments de musique se distinguent.
Ainsi, notre musique est née de «L’ârdîn» et la «tidinît». Elle condense une grande quantité de sentiments de différentes ethnies, d’hommes et de femmes de multiples dialectes, couleurs et cultures qui ont été unis par une même croyance religieuse, le climat et la nature rude du désert. Par le passé, notre situation géographique nous a condamnés à l’isolement du monde arabe. Il fallait donc par exemple fusionner dans un, et même air musical existant, je cite à titre d’illustration la gamme pentatonique, (gamme à cinq notes) mais avec une performance spéciale qui ne ressemble à rien de ce que nous entendons et regardons à travers le monde.
Il est difficile pour les générations qui ont été élevées dans cette culture de chanter comme les artistes orientaux. Et si vous voyez un artiste mauritanien qui maîtrise parfaitement l’interprétation de la musique orientale, assurez-vous qu’il n’a pas été suffisamment baigné dans la culture mauritanienne et initié aux «maqams» locaux, aux sources et origines de nos mélodies.
Comment l’audace de vos choix artistes est perçue par les mouvements conservateurs?
J’ai reçu une part de critiques et d’insultes, mais je ne me souciais pas du tout de ces choses. Je cultive une indifférence face aux polémiques creuses ou de ce que pensent les gens, du qu’en-dira-t-on, tant que je suis convaincue de ce que me dicte ma conscience et ce qui exprime mes sentiments.
La religion est-elle un frein pour les artistes dans nos contrées ou une chance?
La religion est un don de Dieu et il n’y a rien d’autre en elle que de la bonté, et tous les obstacles qui se dressent sur le chemin de la pensée proviennent de l’effort humain et non de la religion. Dieu nous a créés par phases successives, Gloire à Lui.
Quel est le rôle des artistes dans nos sociétés maghrébines?
Premièrement, nous devons comprendre que nous avons un message important que nous devons incarner et exploiter pour le bien de nos peuples et pour celui de toute l’humanité.
Nous devons avoir des programmes et des objectifs nobles.
Par exemple, des décideurs, ou des instances influentes, devraient prendre l’initiative d’étudier un vaste projet qui identifie et définit des objectifs humanitaires et de développement. Le but serait de soutenir les personnes vulnérables et nécessiteuses, notamment les pauvres et les victimes des guerres. On pourrait sélectionner des groupes d’artistes du monde afin d’organiser des voyages de paix et de rencontrer des chefs d’Etat pour mettre fin aux guerres.
Les Nations unies devraient soutenir de tels projets et considérer les artistes comme des messagers de la paix sur Terre. La musique est le langage des âmes et non un moyen d’anesthésier les peuples avec des apparences artificielles pour masquer une réalité douloureuse: les guerres, les effusions de sang, la pauvreté et la faim sont partout.
Vous avez été parlementaire. Que vous a apporté cette expérience en politique? Quel a été votre bilan?
Il s’agit d’une expérience qui a quand même été très importante. Nous avons, comme tous les pays du tiers-monde, un parlement fictif. Nous discutons et proposons des projets, mais au final, la séparation des pouvoirs est le premier principe à défendre et l’une des premières conditions de la démocratie.
J’ai aussi plaidé pour la culture dans notre pays et a réclamé des avancées importantes au profit de tous les arts. Certains projets sont entrés en phase de mise en œuvre, mais ont dévié de leur sens sans se concrétiser.
Quelles sont les contraintes qui empêchent les artistes mauritaniens et maghrébins d’être écoutés à travers le monde?
Le problème est que dans nos pays, nous combattons les créateurs, les censurons dans les médias et les empêchons d’avoir la possibilité d’apparaître de quelque manière que ce soit.
Quelle est la chanson de votre répertoire qui a une place particulière chez vous ou qui vous représente le plus?
Je pense à une chanson intitulée «Kan min Zaman» qui n’était incluse dans aucun de mes albums.
Quelle est la chanson qui ne vous appartient pas, mais que vous auriez aimé écrire ou chanter?
Chanson d’Al-Qataf, par la grande Fairouz
Quel est votre message aux jeunes?
Qu’ils agissent, et non qu’ils subissent.