
Évaluer de manière objective la qualité d’une passe? C’est l’une des opportunités offertes par l’intelligence artificielle (IA) dans le monde du football professionnel. Pour les passionnés de ce monde, les données et statistiques sont une source inépuisable d’informations. Ballons touchés, passes réussies, aériens gagnés...L’utilisation de ces données statistiques dans le foot s’améliore chaque année. Et avec le progrès de l’IA, les statistiques sont toujours aussi considérables. Un trésor précieux pour les entraîneurs ou les recruteurs de foot.
L’IA, concurrente des coachs ou simple assistante?
Plusieurs chercheurs se sont après tout spécialisés dans ce secteur. Se basant sur des algorithmes tout en analysant chacune des actions des joueurs, ces experts se mettent derrière un écran d’ordinateur qui s’occupe de regarder le match. «L’objectif de l’exploitation systématique des données et des innovations technologiques est d’aider les entraîneurs à prendre les meilleures décisions d’un point de vue statistique lors de chaque phase de jeu», indique Mathieu Rosenbaum, professeur français au Centre de Mathématiques Appliquées (CMAP) de l’École Polytechnique à Paris.
Travaillant actuellement avec Mathieu Lacome, spécialiste de recherche et développement dans le sport passé par la Fédération Française de Rugby, le Paris Saint-Germain et Parme, afin d’explorer les possibilités offertes par l’exploitation systématique des données pour améliorer la performance des joueurs, Rosenbaum explique que le but d’un algorithme est de comprendre les régularités statistiques dans les comportements des joueurs et des équipes afin de pouvoir fournir des recommandations sur des compositions ou des tactiques de jeu et d’évaluer la pertinence des décisions des joueurs (passes, tirs, centres…) pendant les matchs.
Mais l’IA peut-elle prendre un jour la place du coach? Pas du tout, selon cet expert qui collabore notamment avec la société StatsPerform, une entreprise spécialiste de la statistique sportive. «Celui qui prend les décisions est l’entraîneur d’équipe, et l’IA reste juste un outil qui apprend du passé, une forme de coach qui regarde des flux de vidéos avec des lunettes différentes, complémentaires, et qui comprend certaines dynamiques. La modélisation mathématique permet dans ce cadre d’évaluer les joueurs et de quantifier objectivement la valeur de leurs performances, ce qui est très utile pour un entraîneur», relève-t-il dans un entretien accordé à Maghreb1.
Et d’ajouter que le coach peut optimiser ses décisions en se servant de l’IA permettant de détecter des comportements subtils. Donc, selon Rosenbaum, il s’agit de mettre en évidence certaines situations ou combinaisons passées inaperçues chez le coach qui pourra par exemple déceler rapidement les points forts et faibles de l’adversaire sans passer des heures à visionner des vidéos avant le match.
L’IA propose aussi une autre fonctionnalité: l’analyse des performances des joueurs comme leur puissance ou leur condition physique. Tous ces indicateurs sont importants pour les entraîneurs, qui ont la possibilité d’affiner leur tactique.
La magie du foot ou quand il devient imprévisible
«Mais reste que le football est extrêmement difficile à modéliser», affirme Rosenbaum, notant que l’utilisation de techniques de l’IA n’est pas aussi répandu dans le football, qu’au basket ou encore dans le football américain. En effet, il est impossible d’imaginer un coach de ces deux sports gagner un match sans faire appel à la data et aux statistiques, même s’il dispose des meilleurs joueurs du monde.
Cependant au foot, les choses sont différentes. «Ce qui fait la beauté du foot est qu’il n’est pas tout à fait prévisible. Quand on pense à la reprise de volée de Pavard contre l’Argentine dans la dernière coupe du monde, on sort clairement du domaine des algorithmes», souligne-t-il.
Et selon Rosenbaum, les algorithmes peuvent aussi aider les coachs pour recruter des jeunes joueurs considérés clairement comme un investissement. Après tout, ces recruteurs vont aux bords des terrains tous les week-ends en espérant dénicher le futur talent du football national.
Football Manager, mais en vrai
Si plusieurs supporters passent leur temps sur des jeux de simulation comme «Football Manager» pour entraîner leur équipe favorite, il existe même de petites équipes qui utilisent des statistiques issues de ces jeux de simulation de foot pour mettre en place un programme d’entraînement équilibré ou dénicher des joueurs au fort potentiel. Mais l’IA promet un simulateur de jeu réel. «Son application au football va permettre de révolutionner sur de nombreux axes, pour les joueurs, les entraîneurs, les responsables de clubs, les fans ou les diffuseurs», vante DeepMind, une entreprise britannique spécialisée dans l’intelligence artificielle.
Sur son site officiel, DeepMind affirme que de telles avancées technologiques seront aussi importantes car elles peuvent démocratiser davantage le football lui-même. Par exemple, plutôt que de se fier aux jugements personnels des recruteurs ou experts, on peut utiliser des techniques pour aider à repérer les futures pépites des clubs moins médiatisés et ceux des ligues de niveau inférieur.
«Au cours des cinq prochaines années, on pourrait voir des «assistants entraîneurs vidéo automatisés» pour l’analyse avant et après match, ou conseillant des changements de jeu à la mi-temps après avoir visionné la première moitié du match», indique Karl Tuyls, chercheur en IA chez DeepMind et qui a rédigé un article sur le sujet.
C’est le cas du partenariat élaboré entre DeepMind et le club mondial Liverpool, introduisant ainsi l’intelligence artificielle dans le milieu du football anglais. Le but est de mettre en place des systèmes de jeu adaptés à l’équipe, assistant ainsi l’entraîneur allemand Jürgen Klopp dans son coaching. On peut aussi observer comment la machine fait évoluer les joueurs en fonction de ce système et des probabilités qu’elle a déjà acquis via son algorithme de «deep learning».
Loin de vouloir se mettre à la place de l’entraîneur, ces outils permettent donc d’assister l’entraîneur dans son coaching. Que ce soit pour le nombre de passes réussies, les trajectoires de ballon, mais aussi pour des données complexes et plus globales comme la propension à permuter dans un bon timing ou à laisser des espaces devant les adversaires, tout cela peut être analysé par un ordinateur. Par conséquent, l’objectif est de mieux valoriser les forces et les faiblesses de sa propre équipe, comme celles de ses adversaires. Les exemples de coopération entre Mathieu Rosenbaum de l’École polytechnique en France et le PSG ou entre Deepmind et Liverpool qui forment des laboratoires à expériences mais aussi des mines d’informations, peuvent donner à réfléchir à nos clubs de foot marocains.