
Maghreb1: Qui est Leila Ghandi?
Leila Ghandi: Je trouve toujours cela périlleux que de se présenter soi-même. Alors je ferai court en disant que je suis une femme engagée qui utilise les moyens qu’elle a pour avoir un impact positif (aussi minime soit-il) sur les gens et le monde.
Comment et quand avez-vous développé cet amour pour le voyage?
Très jeune. Pour mon premier voyage en solitaire, j’avais 15 ans. C’est devenu une passion, une école, un mode de vie. En parallèle de mes études (Ecole de Commerce et Sciences Po Paris), puis en parallèle de ma vie d’employée (chargée de mission en relations internationales à la chambre de commerce du Lot-et-Garonne). Puis c’est devenu mon métier.
Que vous ont apporté ces voyages à travers le monde?
Un regard sur le monde, une mise en perspective, de grands moments de bonheur, un épanouissement, un apprentissage, une vocation, un engagement. J’ai grandi en partie sur les routes, nourrie de mes rencontres et de mes aventures. Cela a d’abord fait naître en moi le besoin de raconter, de témoigner, de parler de ces hommes et femmes, de ces cultures et modes de vie, présenter les hommes les uns aux autres pour les aider à se comprendre un peu mieux peut-être. Pour cela j’ai commencé à écrire mes carnets alors que je faisais mon premier voyage en solitaire en 1995, puis à photographier en 1997 lorsque je découvrais l’Ouest Australien, puis à filmer en 1998 alors que je parcourais la Thaïlande. Les images et les mots comme autant d’outils puissants. Je suis autodidacte. Mon école, cela a été le Voyage.
Puis les voyages ont fait naître en moi le besoin d’agir pour un monde meilleur. A ma manière et à mon échelle, mais agir, avoir de l’impact, être dans l’action, la prise de position, le courage de dire les choses, sensibiliser, apporter ma petite pierre à l’édifice parfois trop bancal ou trop précaire, porter la voix de ceux qui n’y ont pas droit ou qui ont trop peur de s’exprimer, poser la lumière sur les femmes et les situations qu’elles sont amenées à subir, poser la lumière aussi sur ces personnes inspirantes qui redonnent de l’espoir car pour avancer nous avons tous besoin de pouvoir espérer.
Quelles sont les causes qui vous tiennent le plus à cœur?
J’apporte de mon énergie là où je peux et m’associent facilement aux causes et aux valeurs en lesquelles je crois, et je suis d’ailleurs engagée aux côtés de plusieurs associations, qu’elles soient marocaines ou internationales, que ce soit Bayti pour la protection des enfants en situation difficile, la Fondation de l’Étudiant qui accompagne les orphelins dans leurs études d’Excellence, Drosos la fondation Suisse pour l’aide au développement, la Coopération Internationale Monégasque, la Fondation Mohammed VI pour la Protection de l’Environnement, et bien d’autres encore. Au Maroc la cause qui me tient le plus à cœur est la Justice, car sans justice, rien ne peut se faire bien, rien ne peut se faire. C’est un prérequis, un préalable, un socle, un état de droits nécessaire à tout projet de développement individuel et national. Au Maroc nous pouvons nous réjouir d’avoir des lois, une Constitution, et un Souverain qui protègent les marocains; mais dans la réalité et dans le quotidien, l’Etat de droits peine parfois à être respecté et cela est décourageant pour les bonnes volontés.
Mais si je devais nommer les deux causes qui me tiennent le plus à cœur en général, je dirais la protection de l’environnement et la cause des femmes. Deux causes majeures car partagées par le monde entier. Je trouve cela incroyable que le monde ne s’inquiète pas davantage de l’état de notre planète, comme si on avait un plan B, comme si les menaces n’étaient pas réelles. J’ai l’impression que tant qu’on n’a pas besoin de mettre un masque à gaz pour sortir, on se dit, «ça va aller». Mais la réalité, c’est que ça ne va pas aller si on continue comme ça. Tous les scientifiques le disent et pourtant, on ne fait rien ou trop peu, on fait juste ce qu’il faut pour nous donner bonne conscience, pour faire semblant. Fermer le robinet quand on se brosse les dents ne suffira pas du tout. Même les accords internationaux sont trop mous. Les lobbys sont trop forts, et de toute évidence notre besoin de confort et notre résistance au changement aussi. Cela nous a valu quelques pandémies, des raz de marée, des incendies, des sécheresses, des tremblements de terre et d’autres catastrophes encore, et pourtant, on tourne la tête, on regarde ailleurs. Je trouve cela incroyable. Des solutions existent, il faut s’y appliquer maintenant, pas demain, et chacun a son rôle à jouer, il ne faut pas attendre que tous nos voisins agissent pour commencer à agir nous-mêmes.
Le top 3 de vos pays préférés?
Le Maroc, la France, Monaco. Forcément d’abord ces trois pays, mes pays d’origine et de cœur, ceux qui ont vu grandir l’enfant, puis l’étudiant, l’adulte et la mère que je suis devenue.
Ensuite, en réalité et comme je le dis souvent, ce ne sont généralement pas les pays qui sont exceptionnels mais les expériences qu’on y vit et les souvenirs qu’on en garde, ce qu’on y fait et qui on y rencontre. On peut adorer un pays horrible pour y avoir vécu une merveilleuse expérience comme on peut détester un pays magnifique pour les raisons inverses.
Donc en dehors de ces trois pays qui sont les miens, je citerai le Chili, mon premier voyage au long cours, durant lequel j’ai parcouru les 4000 kms de ce pays, des glaciers du sud de la Patagonie au désert de San Pedro de Atacama, en car, train, autostop et ce voyage aura été mon voyage intérieur, celui qui a révélé une vocation. La Chine, deuxième grand voyage en solitaire à travers l’Empire du Milieu avec des expériences extraordinaires telles que mon immersion au temple Shaolin, ma découverte des provinces musulmanes, mes 50 heures de train sans place assise, mon retour en Transsibérien à travers les steppes mongoles et le Lac Baïkal… Un pays qui aura signé, en 2004, le début de ma carrière dans les médias, avec un premier livre publié, une première exposition de photographies dans une galerie d’art parisienne.
Que représente le mot «aimer» pour vous?
Aimer veut dire placer le bonheur et le bien-être de l’autre avant le sien.
Quel est votre conseil aux mamans qui nous lisent?
La vie de maman ne met pas un terme à votre vie de femme.
Ne cessez pas de rêver, de croire en vos projets les plus fous. Ne doutez pas de vous, ne soyez pas trop dures avec vous-mêmes. Ce n’est pas toujours facile mais cela ne l’est pour personne. Ne cherchez pas à être parfaite, cherchez plutôt à être vous-mêmes, ou une meilleure version de vous-mêmes. Vous avez le droit de crier, de pleurer, d’en avoir marre, de faire un break, de vous remettre en question, de vous réorienter, de changer de vie, de reprendre à zéro.
Votre plus beau souvenir de voyage?
Quelle est la différence entre un voyage à 15 ans, un voyage à 30 ans et un à 40 ans? Rien à voir dans la forme même si le fond est le même. A 15 ans, je testais mes limites, je ne sortais pas des sentiers battus.
A 20 ans, je partais avec mon sac à dos pendant des mois sans savoir où j’allais dormir, un sentiment de liberté totale.
A 30 ans, je produisais des films documentaires, et en tant que productrice, je devais calculer, le temps, l’argent, être responsable de plusieurs personnes, répondre aux contraintes professionnelles, livrer dans les délais impartis. C’était une machine qui, par nécessité, laissait un petit peu moins de place à l’imprévu.
A 40 ans, je voyage pour un projet précis, une interview, une conférence, un rendez-vous, un événement à couvrir, une collaboration, ce sont des voyages de 24, 48, 72h. Je voyage aussi pour des durées plus longues mais cela est moins fréquent.
On me demande souvent si je le regrette. Pas du tout en fait. On grandit, on évolue, on n’a pas envie des mêmes choses à 20 et à 40 ans. Les projets changent, la vie change, l’envie change. Aujourd’hui, je suis aussi maman et c’est, je crois aussi, le plus beau des voyages que j’ai eu à vivre.
Que pensez-vous de la situation actuelle des femmes au Maroc?
Beaucoup de choses ont été réalisées, on a parcouru un long chemin et on ne peut que s’en féliciter. Les femmes étudient dans les universités, elles travaillent dans les entreprises, elles sortent entre copines et on ne peut que s’en réjouir. Les femmes accèdent aux postes de pouvoir, elles sont aujourd’hui ministres, pas seulement de l’artisanat mais aussi de l’économie et des finances et ça, c’est merveilleux. Vivement une femme cheffe du gouvernement!
Donc oui, il faut le dire, la situation actuelle des femmes au Maroc s’est fortement améliorée, c’est indéniable. Mais beaucoup reste à faire, il faut le dire aussi.
Quels sont vos projets d’avenir?
Je suis en train de développer plusieurs projets et je serais ravie de vous en parler plus amplement dans un avenir très proche.
Pour être brève, plus de conférences et d’animation d’évènements d’envergure internationale, plus de productions média à destination de ma plateforme digitale, et deux grandes nouvelles à venir que je ne peux pas encore partager…
Quel est votre conseil pour les femmes marocaines qui souhaitent voyager seules au Maroc mais qui ont peur de franchir le cap?
Voyager est un projet parmi tant d’autres, ce n’est pas une finalité.
Vivez vos rêves tant que vous le pouvez, car un jour vous n’aurez plus ce choix, il sera trop tard, et vous le regretterez.
Ce n’est pas voyager ou réaliser un projet qui est important, c’est se réaliser soi-même.